« Plasticité organique » et maladies somatiques - Marc Tocquet, psychologue clinicien, docteur en psychologie, psychothérapeute.

« Plasticité organique » et maladies somatiques

 

Un petit texte que j’ai écrit sur la « plasticité organique » et les maladies somatiques. A paraître sur le site de l’association Psy APO.

 

L’existence de la plasticité organique

La production, par suggestion, d’une brûlure au troisième degré, avec vésication (c’est-à-dire l’apparition d’une ampoule) est un phénomène remarquable dans la démonstration du pouvoir du psychisme sur le corps. Cette expérimentation étonnante a été publiée pour la première fois en 1886 (Bernheim, 1886). Elle a été répliquée depuis régulièrement dans différents pays et l’éminent Léon Chertok l’a décrite précisément dans son livre « Le non-savoir des psy » (Chertok, 1979) : cette brûlure au troisième degré est produite par la seule suggestion hypnotique qu’une pièce de monnaie est déposée brûlante sur l’avant-bras d’une personne. La pièce de monnaie, évidemment, est à température ambiante. La brûlure apparaît à l’endroit où la pièce a été posée. Une vidéo de cette expérimentation est visible sur Youtube : il suffit de taper « Chertok » et « brûlure » (https://www.youtube.com/watch?v=nGmPDzxWjNE).
Depuis plus d’un siècle on se demande comment cela est possible. Comment le psychisme peut-il avoir un pareil impact sur le corps ?

De nombreuses autres observations confortent cette « plasticité organique », par exemple le fait que selon les identités d’une même personne vivant un Trouble Dissociatif de l’Identité (TDI), des paramètres organiques peuvent être différents : au gré des « switch » (des changements d’identité), les différents « alters » (c’est-à-dire les différentes identités d’une même personne) peuvent être droitiers, gauchers, capables de courir un marathon ou très fatigables. Certes. Mais, selon les identités, la répartition des flux sanguins dans le cerveau peut aussi être différente (Reinders, Nijenhuis, Paans & Al. 2003), ainsi que la pression intra-oculaire ou la courbure cornéenne (Birnbaum & Thomann, 1996) : le corps est différent selon les identités d’une même personne.

Sur ce thème, voici une troisième étude (De la Fuente-Fernández, Ruth, & al., 2001) : aux personnes de l’un de deux groupes, constitués au hasard, de patients atteints de la maladie de Parkinson, on donne un placebo. Aux malades de l’autre groupe on donne un médicament réel, le « Lévodopa ». Tous les participants sont soumis à une IRM pour observer l’activité cérébrale.
Les résultats montrent que dans le groupe ayant reçu le placebo, une libération de dopamine dans le striatum (zone clé pour le mouvement) a été similaire à celle du groupe des personnes ayant reçu le médicament.

Que déduire de tout ceci ? Que le corps est capable de plasticité, qu’il est capable de s’adapter, de créer, de produire sous l’effet de suggestions psychiques ou de circonstances.

La « plasticité organique » n’est pas un terme standardisé ou largement reconnu dans les sciences contemporaines. Cette expression pourrait désigner la capacité du corps (y compris le cerveau) à s’adapter, se transformer ou se réorganiser en réponse à des expériences au sein de situations, un concept élargi à partir de la plasticité neuronale.

Si le corps est capable d’une si profonde plasticité organique, qu’en est-il de nos maladies, de nos dysfonctionnements organiques ? Il n’y a pas de réponse simpliste et univoque à cette question, et la prudence est indispensable. Mais du moins devons-nous, nous, analystes psycho-organiques, être conscients de cette dimension et attentifs à elle. Les liens entre corps et psychisme constituent l’un des espaces fondamentaux de notre travail. Paul Boyesen les a nommés et leur a donné une place centrale dans sa « topique », celle de la « connexion organique ». Cette « plasticité organique » me semble projeter sur cet espace une lumière intense et nous devons en avoir conscience, notamment dans la prise en charge de personnes souffrant de maladies, ou de symptômes, organiques.

 

Bibliographie

Benedetti, F., Durando, J., Giudetti, L., Pampallona, A., & Vighetti, S. (2015). High-altitude headache : the effects of real vs sham oxygen administration. Pain, 156. (11), pp. 2326-2336.

Bernheim, H. (1886) De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique. Paris : Doin

Birnbaum, M. H., & Thomann, K. (1996). Visual function in multiple personality disorder. Journal of the American Optometric Association, 67, 327-334.

Chertok, L. (1979). Le non-savoir des psy. Paris : Payot

De la Fuente-Fernández, R., Ruth, T. J., Sossi, V., Schulzer, M., Calne, D. B., & Stoessl, A. J. (2001). Expectation and dopamine release : mechanism of the placebo effect in Parkinson’s disease. Science, 293, pp. 1164-1166.

Reinders, A. S., Nijenhuis, E. R., Paans, A. M., Korf, J., Willemsen, A. T., & den Boer, J. A. (2003). One brain, two selves. Neuroimage, 20, pp. 2119-2125.